Nous sommes le mardi 14 mai et la traditionnelle messe de mai peut démarrer. Comme toujours, c’est le jour de montée en puissance. Les grosses valises cherchent leur AIRBNB rue d’Antibes. Les festivaliers venus du monde entier attendent leur accréditation. Et il n’y a pas encore foule au stand Nespresso du Palais des Festivals. Bref, l’après-midi de l’ouverture est généralement assez tranquille.
Sur les coups de 14h30, c’est l’heure de la traditionnelle conférence du jury qui s’exprime sur sa mission et ses envies. Contrairement aux autres années, on ne pourra pas y accéder faute de place, et déjà ça râle sur la couleur de son badge presse et la priorité donnée à d’autres (et contrairement à ce que nous pouvions croire, cela n’est pas réservé aux Français). Même sans avoir accès à la salle, on peut de l’extérieur voir passer le jury. Greta Gerwig en tête. Dans une robe vichy bleu bouffante, on y voit un clin d’œil à Barbie. La réalisatrice, tout en retenue et dans l’émotion, certainement très honorée de présider le plus grand Festival de Cinéma au monde, si jeune. Après Greta, tous les yeux sont rivés sur Eva Green, l’actrice française iconique dont l’aura et la beauté ne se transmettent pas qu’au cinéma.
Puis, plus loin, souriante à souhait, toute timide et lumineuse, Lily Gladstone, l’actrice révélée l’année dernière par Scorsese dans Killers of the Flower Moon. À leurs côtés, un autre très grand cinéaste (qui aurait aussi été un incroyable président), Hirokazu Kore-Eda, Nadine Labaki, Omar Sy, Juan Antonio Bayona, Ebru Ceylan et Pierfrancesco Favin. Un jury magnifique tout en grâce qu’on a hâte de suivre pendant la petite quinzaine !
En un claquement de doigt, nous voici en Debussy pour suivre la Cérémonie d’Ouverture. Sur le tapis rouge, de grands noms, mais une présence nous met les poils, celle d’Émilie Dequenne. L’actrice belge, atteinte d’une forme rare de cancer, monte les marches. Les cheveux repoussent. Les cernes. Amaigrie. Elle pose fièrement pour les photographes et monte les marches. Une image forte, courageuse, loin de l’image sur papier glacé du Festival de Cannes. En allant sur Instagram, on découvre le post où elle annonce sa rémission totale, et là les nuages du ciel de Cannes s’estompent et le cœur tambourine fort. Première Queen du soir.
Non loin d’elle, c’est une légende du cinéma qui va monter les marches et recevoir sa Palme d’Or d’honneur : Queen Meryl Streep. Chic et choc, la star américaine pose sourire aux lèvres et va même faire quelques pas de danse quand résonne Mama Mia ! sur les marches. On sent son immense fierté de se tenir là, à 74 ans, toujours à l’affiche de grands projets et tellement aimée du public et de la profession.
Il est l’heure d’accueillir le jury. Et là encore, notre cœur s’emballe pour nos 3 queens. Greta Gerwig dans un look très “Florence Pugh”, cheveux laqués en arrière, robe fendue à sequin, décolleté interminable. Lily Gladstone lui volerait presque la vedette quand elle commence à danser au milieu des marches. Et que dire d’Eva Green qui emporte tout sur son passage ? On en oublierait presque l’équipe du film du Deuxième Acte…
24 marches plus tard et la traditionnelle arrivée sous les applaudissements de Quentin Dupieux. Il est temps d’ouvrir ce Festival. Camille Cottin casse les codes et se présente assise sur un rebord de scène. La musique démarre et son ouverture “chantée” fait mouche. En 2 minutes, elle a déjà placé la fin de la suprématie des puissants masculins, félicité les 4 réalisatrices courageuses un peu isolées dans une compétition bien masculine, le tout avec humour et malice.
Arrivée du Jury, magnéto de Greta qui pleure déjà. Et ce n’est pas fini ! Séquence culte de Frances Ha reprise par Zaoh de Sagazan et Modern Love électrise le palais des Festivals. Greta chante et pleure en même temps. On a envie de tous faire la fête à leur côté. Quel moment incroyable !
On a envie que cette cérémonie dure toute la nuit, qu’elle se transforme en grand concert mais il est l’heure d’accueillir Meryl Streep pour lui remettre sa Palme d’Or d’Honneur. Un discours un peu long de Binoche mais qui a le mérite de nous rappeler tout ce que Meryl Streep représente. Une femme, actrice, qui sait tout faire et qui a traversé les âges avec classe et poigne. Notre reine à tous.
Bon après tout ça, on a carrément oublié qu’on avait un film à voir, le nouveau film de Quentin Dupieux, Le deuxième Acte. Comme à son habitude, Dupieux signe un film concept. Ici, le quatrième mur du cinéma avec lequel on va jouer. Les acteurs jouent-ils des personnages ? Ou est-ce la réalité ? Il n’y a pas de réalisateur, car le film est réalisé par une IA (tacle malin sur l’avenir du cinéma), on n’entend pas de “coupez”. Alors pendant 1h20, ce sont les acteurs qui jouent / ne jouent pas.
Le début est assez désarmant et certains mots prononcés par Louis Garrel et Raphael Quenard sont assez limite. Ils nous laissent aussi à penser que Quentin Dupieux a un avis très tranché sur la Cancel Culture (et pas dans le bon sens). Une autre séquence plus tard qui vient ironiser sur une tentative de baiser ressenti comme un viol par Léa Seydoux nous confirme cette impression. Sur le film, c’est un Dupieux. Parfois génial quand les acteurs se moquent d’eux-mêmes (Vincent Lindon et ses tics, Léa Seydoux à qui l’ont dit qu’elle joue mal…) ou quand une séquence au restaurant fait des étincelles en termes de comédie et de rythme (Louis Garrel est un merveilleux acteur comique, on le dira jamais assez). Parfois plus mou et moins passionnant quand il essaye de théoriser son concept. La fin est longue et le plan séquence final n’était pas nécessaire, on avait déjà compris l’idée.