Après l’immense There Will be blood, Paul Thomas Anderson est enfin de retour avec The Master. Un retour attendu pour l’un des réalisateurs les plus doués de sa génération qui signe ici une plongée hypnotisante dans l’univers des sectes mais pas que.

Freddie, un vétéran, revient en Californie après s’être battu dans le Pacifique. La Seconde Guerre Mondiale l’aura transformé. Devenu alcoolique, il distile sa propre gnôle et passe son temps à dormir ou à se battre. Complètement à la merci de ses émotions, Freddie ne contient pas la violence que son corps détient et a beaucoup de mal à se re-insérer dans la société. Enchainant les petits boulots, toujours en fuite, incapable de s’engager, Freddie va faire presque par hasard la connaissance de Lancaster Dodd, le “Maître”, charismatique leader d’un mouvement existentialiste nommé la Cause. Au départ septique, Freddie va trouver en ce mouvement et en Lancaster Dodd, une nouvelle famille, une raison d’exister. Une amitié née alors entre ces deux hommes dont la fascination est mutuelle. Si pour Freddie, Lancaster est un père spirituel, pour Lancester il est le cobaye parfait pour expérimenter son travail. Jeux de pouvoir, naissance d’un nouveau culte sur fond de quête identitaire seront alors au programme. Mais que faire quand l’instinct naturel est plus fort que tout ?

Dès le premier plan on se dit que The Master ne nous laissera pas indifférent. Déjà la musique du génial Jonny Greewood nous prend aux tripes et les talents de metteur en scène de Paul Thomas Anderson nous donne déjà le tournis. Quelque part sur une île, on découvre Freddie, marin traumatisé par une guerre qui l’a à tout jamais transformé. En proie à des crises de violence, alcoolique, Freddie revient pourtant sur le sol américain. Et si on pense que ces traumatismes sont effacés par un boulot de photographe dans un grand magasin et une relation stable avec une jolie vendeuse, Paul Thomas Anderson nous enlève cette idée de la tête. The Master ne sera pas une jolie et joyeuse histoire sur un homme qui revient à la vie mais bien le portrait sombre et pessimiste d’un ancien soldat dont le retour dans la société est quasi impossible. Comme à son habitude, le réalisateur dresse le portrait d’un homme à la dérive dont l’appartenance à la société n’est qu’un lointain souvenir. Paul Thomas Anderson semble alors détenir le secret pour explorer l’âme humaine et dessiner des portraits exceptionnels.

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Dans sa capacité à filmer une Amérique en perdition suite au traumatisme de la seconde guerre mondiale, Paul Thomas Anderson s’interesse à un phénomène existant : le besoin d’appartenance. Au milieu des années 50, The Master raconte comment des êtres endeuillés, perdus quelque part, vont se retrouver autour d’une même cause pour re-créer une famille. Comme dans Boogie Nights, les membres de la Cause vont vivre ensemble pour ce qui s’apparente à une très grande famille recomposée pour palier à un manque d’affection autour. Le traumatisme se fait sentir dans chacune des scènes, dans chacun des plans et le besoin de croire en quelque chose (aussi stupide soit-elle) omniprésent sur les visages des membres de la secte en devenir. Paul Thomas Anderson dépeint avec une fidélité presque inquiétante ce constat là. Et même si le dessein de la Cause est mauvais et les propos du gourou ridicules, on comprend mieux avec The Master ce qui pousse les gens à rejoindre de tels mouvements.

Si on attendait de The Master une remise en question des sectes et une rebellion du personnage de Freddie envers celle qui la corrompu, c’est avec une grande surprise qu’on se rendra compte qu’il n’en est rien. Ou du moins qu’elle n’est pas si évidente que l’annonçait la bande-annonce. Dans The Master, impossible de savoir la véritable pensée de Freddie, s’il est complètement soumis ou s’il prend tout cela avec humour et dérision et si sa nature l’emporte sur l’endoctrinement ou bien l’inverse. Paul Thomas Anderson brouille les pistes pour nous faire douter de la frontière entre réalité et rêves. Et finalement après 2h de films on se demande vraiment si tout ceci était réel. Un sentiment étrange qu’on avait pas ressenti depuis longtemps qui nous reste longtemps en tête et dont on ne peut se défaire. La marque des grands films assurément !

The Master n’aurait sans doute pas été le même sans la prestation sidérante de Joaquin Phoenix dont le talent immense vient enterrer définitivement l’épisode I’m Still here. Dans The Master il crève l’écran sous ses allures d’ivrogne à la démarche hésitante aussi moqueur qu’indomptable. Paul Thomas Anderson l’a rendu animal, à l’état de nature et il inquiète autant qu’il fascine face à un Philip Seymour Hoffman dont la paranoïa et la malveillance viennent constraster l’assurance et l’intelligence. Et si dans la relation maître / esclave, Joaquin et Philip forment un parfait duo, c’est du côté d’Amy Adams que notre intérêt se penchera vraiment tant les mystères autour de son personnage sont nombreux. Véritable cerveau de la Cause ou épouse intransigeante, Amy Adams signe avec The Master une prestation inoubliable tant celle-ci opère un virage à 180 degrés avec ce rôle très différent de ceux qu’elle a incarnés jusqu’à présent.

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Si Metropolitan a l’habitude de nous proposer des éditions Blu-Ray de grande qualité, on doit avouer que The Master nous a laissé sans voix ! D’un point de vue visuel d’abord puisqu’on atteint la perfection avec un grain sans fautes et des plans larges comme sérrés absolument magnifiques. La claque sera aussi sonore puisque une piste 5.1 en HD vient donner à la musique de Greenwood toute sa puissance. La version Blu-Ray nous permet une immersion totale et définitive.

Côté bonus là aussi on sera comblé puisqu’au delà d’un anecdotique Making Off de 8 minutes, on retrouvera une vingtaine de minutes de scènes coupées et surtout un documentaire de John Huston sur le stress post-traumatique à la sortie de la seconde guerre mondiale.

The Master est un tour de maître, un numéro de prestidigitation qui nous éloigne de toute notion de rationalité et nous fait perdre tous nos repères. Réalisé comme un discours de David Miscavige, The Master nous envoute, nous hypnotise pour nous faire nous abandonner complètement et accepté à la fin toute idée comme une parole divine. Paul Thomas Anderson est vraiment The Master.

Disponible en DVD (19,99 euros) et blu-ray (24,99 euros) chez Metropolitan Video dès le 15 mai.


Author

Cinéphile aux lacunes exemplaires, mon coeur bat aussi pour la musique, les chaussures léopard et les romans de Bret Easton Ellis. Maman de 2muchponey.com, niçoise d'origine, parisienne de coeur, je nage en eaux troubles avec la rage de l’ère moderne et la poésie fragile d'un autre temps. Si tu me parles de Jacques Demy je pourrais bien t'épouser.

6 Comments

  1. Tu m’as mis l’eau à la bouche. J’avais prévu de le voir mais sans grande grande conviction et ton article a finalement déclenché une résistible envie de découvrir ce film qui a l’air très réussi. J’adore Joaquin Phoenix, ca tombe bien. J’irai donc dimanche !

    auroreinparis.wordpress.com

  2. Svetlina SalParadise Reply

    Tu m’as mis l’eau à la bouche. J’avais prévu de le voir mais sans grande grande conviction et ton article a finalement déclenché une résistible envie de découvrir ce film qui a l’air très réussi. J’adore Joaquin Phoenix, ca tombe bien. J’irai donc dimanche !

    auroreinparis.wordpress.com

  3. Non mais non !

    Vous m’aviez convaincu, j’y suis allée les yeux fermés en embarquant même une amie.

    Et au bout de 2h j’ai eu une violente envie de ramper hors de la salle, comme jamais je n’en avais eu auparavant (même pendant les 30min de contemplation de The Tree of life).

    Je ne pouvais même pas me consoler avec Joaquin Phoenix qui certes mérite un Oscar tellement il est transformé, mais est repoussant.

    Ce film est inaccessible ou alors il n’a pas été fait pour un public. Les personnages sont tellement profonds qu’on ne les cerne pas, qu’on ne les comprend pas et qu’on ne s’y attache pas.

    Tout le long du film je me suis demandée : mais où veux-t-il en venir ? La réponse : nul part. Et ce n’est certainement pas un film sur les sectes, sur pourquoi certaines personnes peuvent se sentir attirée par elle. Il y en a eu d’autres qui abordaient le sujet même de loin, mais mieux.

    Je suis déçue, j’ai l’impression d’avoir vraiment été prise en otage dans cette salle de cinéma, tout comme Freddy dans cette secte. Je touchais le mur encore et encore et j’y revenais sans cesse, sans comprendre pourquoi, comment, en en demandant encore et encore tout en sachant que c’était vain.

    • Bonjour Delphine,
      Je comprends parfaitement votre ressenti. Ce n’est pas un film facile. Il déroutera bcp de gens.
      Par contre vous dites qu’il vous a pris en otage n’est ce pas là la plus grande force du film ? Vous faire ressentir exactement la meme chose que Freddy ?
      Laissez le film murir un peu. Prenez le temps de le digérer. Vous pourrez le détester bien sur mais reconnaitre qu’il y a des qualités à vous embarquer dans une histoire et vous soumettre à un réalisateur.

  4. Non mais non !

    Vous m’aviez convaincu, j’y suis allée les yeux fermés en embarquant même une amie.

    Et au bout de 2h j’ai eu une violente envie de ramper hors de la salle, comme jamais je n’en avais eu auparavant (même pendant les 30min de contemplation de The Tree of life).

    Je ne pouvais même pas me consoler avec Joaquin Phoenix qui certes mérite un Oscar tellement il est transformé, mais est repoussant.

    Ce film est inaccessible ou alors il n’a pas été fait pour un public. Les personnages sont tellement profonds qu’on ne les cerne pas, qu’on ne les comprend pas et qu’on ne s’y attache pas.

    Tout le long du film je me suis demandée : mais où veux-t-il en venir ? La réponse : nul part. Et ce n’est certainement pas un film sur les sectes, sur pourquoi certaines personnes peuvent se sentir attirée par elle. Il y en a eu d’autres qui abordaient le sujet même de loin, mais mieux.

    Je suis déçue, j’ai l’impression d’avoir vraiment été prise en otage dans cette salle de cinéma, tout comme Freddy dans cette secte. Je touchais le mur encore et encore et j’y revenais sans cesse, sans comprendre pourquoi, comment, en en demandant encore et encore tout en sachant que c’était vain.

    • 2MuchPoney Reply

      Bonjour Delphine,
      Je comprends parfaitement votre ressenti. Ce n’est pas un film facile. Il déroutera bcp de gens.
      Par contre vous dites qu’il vous a pris en otage n’est ce pas là la plus grande force du film ? Vous faire ressentir exactement la meme chose que Freddy ?
      Laissez le film murir un peu. Prenez le temps de le digérer. Vous pourrez le détester bien sur mais reconnaitre qu’il y a des qualités à vous embarquer dans une histoire et vous soumettre à un réalisateur.

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