Après un petit séisme enregistré à Cannes lors de se présentation, on attendait beaucoup du nouveau film de Katell Quillévéré. Il faut dire qu’avec un casting pareil et une chanson de Leonard Cohen en guise de titre, on avait toutes les raisons d’y croire !
Fille-mère à l’adolescence, Suzanne vit avec son père routier et sa sœur dont elle est inséparable. Sa vie bascule lorsqu’elle tombe amoureuse de Julien, petit malfrat qui l’entraine dans sa dérive. S’ensuit la cavale, la prison, l’amour fou qu’elle poursuit jusqu’à tout abandonner derrière elle…
Suzanne c’est d’abord une enfant, une petite fille pleine de vie et aimante à qui on a enlevé sa maman trop tôt. Suzanne c’est une sœur avec qui rigoler et s’amuser. Suzanne c’est ensuite une adolescente difficile à comprendre qui décide de garder un bébé « parce qu’elle a en a envie ». Suzanne c’est aussi une jeune femme amoureuse, frappée par une passion dévorante qui ne peut pas et ne veut pas lutter. Suzanne c’est aussi une mère dépassée par les événements. Suzanne c’est une femme complexe qu’on aimerait comprendre mais dont les choix nous empêchent souvent toute compassion. Suzanne c’est le destin brisé d’une femme fragile qui nous rappelle à quel point la vie peut-être sale voir clairement dégueulasse quand elle s’y met. Suzanne c’est tout ça et bien plus encore !
Difficile alors de vous expliquer l’incendie qui s’est déclaré en nous à la vue de ce film. Enfin, est-ce vraiment un film ? Par son naturalisme, sa franchise et l’absence totale d’artifice, Suzanne s’apparente plus à un documentaire qu’à une fiction. Un film si brut, si pur, qu’il vous prend aux tripes sans que vous ne l’ayez vu venir, d’un coup comme ça. Pourtant les histoires de familles bancales vous les connaissez, vous y êtes habitués mais Suzanne a ce supplément d’âme qui fait que vous avez l’impression de repartir de zéro. La diversité des sujets évoqués (le deuil, la maternité, l’amour entre sœurs, le désir de vie, l’amour passionnel, la paternité, la responsabilité parentale…) transforme Suzanne en véritable film fleuve qui nous parle de la vie, la vraie. Pas celle que l’on aimerait vivre ou connaître, celle qui est réellement. Celle qui n’est pas rose et qui fait plus de mal que de bien.
Pourtant le pari était osé. Qui dit film fleuve sur l’évolution d’une jeune fille sur plus de 25 ans, dit nécessité de faire des ellipses intelligentes pour ne pas perdre ni ennuyer le spectacteur. Là Katell Quillévéré met tout son talent en œuvre pour imposer une mise en scène brillante et tellement efficace. Chaque plan, chaque geste en disant long sur le chemin parcouru par Suzanne et les siens. Chaque plan nous permettant de rentrer un peu plus dans l’intimité de cette famille pas vraiment ordinaire. On est alors projeté au cœur de l’histoire, complétement happé par cette descente aux enfers et par ces retours de flammes inévitables. Difficile alors d’y échapper et d’en sortir indemne. Une mère en pleur parce que son enfant a appelé une autre « Maman », un père qui tente de camoufler ses yeux rouges au tribunal et nous voilà bouleversé comme rarement le cinéma ne sait le faire. Un dernier aveu et nous voilà recroquevillé sur notre siège pendant que Leonard Cohen dévoile son blues. La lumière s’allume et il est alors très difficile de se lever, de revenir à une activité normale et même de parler. Sans voix.
Il faut dire que Suzanne doit beaucoup à son casting en tout point parfait. Commençons avec l’évidence, Sarra Forestier. Si elle en agace plus d’un à force de jouer les mêmes rôles de fille grande gueule à la limite du vulgaire, l’actrice aura réussi un bien numéro ici. Il faut dire qu’on ne la jamais vu jouer ainsi au cinéma. Si pure, si naturelle, tellement dans le juste sans avoir besoin d’en rajouter des tonnes. La petite femme nous aura mis une bien belle claque et nous aura bien surprise dans la peau de Suzanne. Sans vouloir s’avancer le César est tellement évident qu’on en oublierait presque les filles de la Vie D’Adèle… A ses côtés, n’oublions pas Adèle Haenel complètement immergée dans le rôle de la sœur qui se doit d’être sage et responsable pour appuyer la famille qui confirme tous les talents qu’on avait placé en elle depuis La Naissance des Pieuvres. Enfin, on n’est pas prêt pas d’oublier la prestation de François Damiens immense dans Suzanne. Là encore, on pense au César du meilleur Second Rôle tant l’acteur belge est bouleversant de sincérité dans la peau de ce routier qui doit rester debout malgré une vie qui s’acharne.
Vous l’aurez compris, Suzanne est notre coup de cœur du mois et on n’est pas prêt de l’oublier. Débordant de vie et profondément tragique, le deuxième film de Katell Quillévéré nous aura mis une bonne petite claque avant de nous mettre définitivement KO. Une ode à la vie aussi boiteuse soit-elle….
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Oui, oui et oui.
Oui, oui et oui.