Tous celles et ceux qui ont découvert durant leurs jeunes années le témoignage choc de “Moi Christiane F, 13 ans, droguée, prostituée” comprendront l’impatience que j’avais à commencer “Moi, Christiane F, la vie malgré tout”. De l’impatience certes, mais de la surprise aussi il faut l’avouer…
Une fois que l’on connait ce que cette femme a vécu en terme de drogue et dépendance, de violence et de sexe depuis son plus jeune âge, on finit effectivement par être surpris que 34 ans après, elle soit toujours vivante…Soyons honnêtes, peu de gens auraient parié que Christiane Felscherinow atteigne les 51 ans. D’ailleurs, elle n’aurait même pas parié sur elle-même comme elle le dit dans ce nouveau livre.
Nous l’avions laissée il y a toutes ces années sur une note d’optimisme. D’envie d’arrêter la drogue et de se mettre au vert. “La vie malgré tout” reprend exactement à ce moment-là, dans les mêmes termes ou presque. Même narration certes, mais entre temps, le premier livre est devenu un best-seller (vendu à plus de 5 millions d’exemplaires). Un témoignage adapté en film, devenu une lecture obligatoire dans les collèges-lycées en Allemagne. Exposée au monde entier, Christiane F vit encore aujourd’hui des droits de sa propre histoire. Mais que s’est-il passé pour la junkie la plus célèbre d’Allemagne après ce succès surprise?
Avec les mêmes mots, nous retrouvons donc Christiane à 16 ans dans la campagne allemande. Là où on se demandait tous si elle avait enfin décroché de la drogue, la jeune belle et insolente nous répond rapidement qu’elle n’aura pas eu cette force. En clair, la biographie de Christiane Felscherinow, ce n’est pas du Baudelaire. Un peu vulgaire, spontanée, franche, Christiane (enfin surtout la journaliste qui a fait son entretien) écrit comme elle parle et nous décrit ses multiples rechutes en enfer jusqu’à aujourd’hui.
Avec elle, on découvre sans détours l’arrivée de l’héroïne dans le milieu de la drogue, on fait la différence entre les cocaïnomanes et les héroïnomanes. On la voit se faire des trips sous ecstasy, prendre des médicaments, beaucoup d’alcool, faire la fête avec David Bowie et AC/DC, voyager autour du monde en hippie à l’époque où l’on pouvait cacher de la drogue dans ses cheveux et prendre l’avion…
On repart dans le trip avec elle. On la voit enchaîner les conquêtes masculines comme les seringues aussi. Parfois même refaire le tapin pour se payer sa dose. Puis on la voit aussi passer par la case prison. Sans jamais vraiment ressentir de pitié envers celle qui n’arrive pas à décrocher (et qui ne fait pas toujours beaucoup d’efforts pour), on assiste surtout au spectacle de la vie d’une toxico-dépendante, espèce que les gouvernements aiment passer sous silence pour ne pas égratigner leur image. Tout comme dans le 1er livre, l’auteure décrit dans les moindres détails les endroits “célèbres” pour les consommateurs de drogues en Suisse, en Allemagne ou encore aux États-Unis… L’abandon des personnes toxico dépendantes dans les parcs par la société y est également bien dénoncée, de façon claire et froide.
Car plus qu’une histoire personnelle de fille un peu (beaucoup) paumée, ce nouveau témoignage est surtout le portrait d’un univers que l’on passe régulièrement sous silence, plein de préjugés et mal aimé dans tous les pays du monde. A ceux qui ont trouvé que Christiane F… donnait envie de prendre de la drogue; son calvaire en 51 ans, sa cirrhose du foie, ses vomissements, ses délires, la prison, son hépatite, son abandon forcé de son enfant sont là pour prouver que oui, la drogue détruit bien les gens et que non, il n’est pourtant pas si facile de s’en débarrasser. Pour l’envie d’en prendre, on repassera donc…
Malgré tout, on peut se demander à juste titre pourquoi cette suite est sortie alors que Christiane F répète sans cesse que les journalistes ont détruit sa vie et sa famille en sortant le premier livre. La réponse, on l’obtient vers la fin du livre et elle apparait comme une évidence. Alors qu’elle écrit « Je suis et reste une célébrité junkie. Une attraction. Un animal rare. Espèce : « enfant de Bahnhof Zoo », on se rend compte que depuis 34 ans, sa vie et celle des gens qui l’entourent est exposée chaque jour aux yeux de tous. Les tabloïds ont raconté tout et n’importe quoi à son sujet, surtout lors de l’enlèvement de son fils par les services sociaux. Aujourd’hui, celle qui se retrouve seule face à son alcoolisme veut donc donner sa version des faits.
Chacun croira ce qu’il voudra. Peut-être que Christiane F a enjolivé un peu sa vie, perdue dans ses délires d’héroïnomane se croyant intouchable et tellement célèbre. Quoi qu’il en soit, le droit de réponse existe et elle a su en faire bon usage. Car si l’on reste pantois face aux faiblesses assumées de cette femme (face aux hommes, aux drogues…) on est forcés de lui reconnaître une véritable intelligence. Dommage d’avoir gâché une vie pour quelque chose d’aussi futile que la drogue. Si elle en paie le prix moralement et physiquement aujourd’hui, elle reste surtout lucide sur ces 51 années passées, reconnait ses erreurs et signe avec “La vie malgré tout” un récit qui a un véritable goût de testament.
Nul ne sait si la junkie la plus célèbre d’Allemagne pourra vivre encore longtemps. Et nous, spectateurs et lecteurs un peu malsains face à cette vie, nous continuons pourtant à lire ses paroles et ses actes, même si très souvent, c’est de l’incompréhension que l’on ressent face aux choix pris par cette femme qui au final, doit encore plus tenir à la vie que ce qu’elle laisse paraître pour être encore là aujourd’hui…
“Moi, Christiane F., la vie malgré tout” chez Flammarion, depuis le 16 octobre. 294 pages. Prix: 19.90€