Après Venus Noire et La Graine et le Mulet, le réalisateur Abdellatif Kechiche fêtait son grand retour sur la Croisette pour nous raconter la Vie d’Adèle. Une fresque humaine de 3 heures dans l’intimité d’une jeune fille qui découvre la vie. Chronique d’un très, très grand film.

La_Vie_dAdele_1Adèle a 15 ans quand elle croise le regard d’Emma, par hasard dans les rues de Lille. La jeune lycéenne, bien que quelque peu fascinée par les romans qu’elle dévore, mène une existence simple et sans problèmes. Adèle plait aux garçons et découvre l’amour dans les bras de Thomas. Pourtant le regard échangé avec la fille aux cheveux bleus la hante et l’obsède. Fantasmant sur la jeune femme et voyant toutes ses certitudes s’effondrer, Adèle va céder à la tentation et découvrir dans les bras d’Emma, l’amour passion.

Sur le papier on doit avouer qu’on y croyait pas une seconde. Une fresque de 3 heures sur une histoire d’amour entre deux filles réalisée par le naturaliste Abdellatif Kechiche, ne nous passionnait franchement pas. Pourtant en plein festival quand on entend que la Presse était unanime au sujet du film, on se dit que Kechiche a dû le faire et La Vie D’Adèle devient ainsi le film à voir pendant ce Cannes 2013.

Difficile alors de parler, d’expliquer ce qu’on a ressenti lors de la projection du film. Difficile de trouver les mots justes, les mots qui viendraient rendre compte de l’énorme claque prise et qui seraient à la hauteur de l’expérience Adèle. Il nous aura fallu 2 visionnages et la lecture du dossier de presse pour arriver à quelque chose un minimum sensé. Et si l’entreprise est difficile, essayons toutefois d’expliquer pourquoi La Vie D’Adèle mérite toutes les Palmes d’Or du monde !

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Il y a d’abord chez Abdellatif Kechiche un vrai savoir pour raconter des histoires. Des histoires pas forcément incroyables ou exceptionnelles mais des histoires importantes, des histoires fortes avec un naturalisme et une volonté de pudeur absolument saisissants. La Vie d’Adèle porte alors très bien son nom. On va suivre l’évolution d’une jeune fille qui va apprendre à devenir femme grâce à une rencontre qui va changer sa vie. Abdellatif Kechiche filme alors la vie, avec ses hauts et ses bas, dans une simplicité et un franc parlé qui vous touchent droit au coeur. Pas le temps pour les artifices ou pour embellir la réalité, place à l’histoire. Place à Adèle. On comprendra plus tard que les gros plans sur Adèle mangeant des pâtes ou endormie dans son lit ne sont pas vains et qu’ils racontent bien plus sur son personnage que mille mots. On se demandera aussi si on est encore au cinéma tant la justesse et le naturel des plans auront eu raison de notre perception de la notion de “film”.

Pudeur chez Abdellatif Kechiche oui car le réalisateur ne tombera jamais dans le piège de la surenchère. Jamais il ne cherchera à en faire plus, à montrer plus que ce qui est suggéré et laissera la puissance de l’histoire parler d’elle même. Finalement la relation Emma/Adèle ne sera pas beaucoup montrée à l’écran laissant les conversations, les scènes de sexe ou les disputes en disent long sur la puissance de la passion qui les unit. Des ellipses comme pour ne pas trahir la force de la relation entre les deux jeunes femmes. Des elipses comme pour ne pas mettre des mots ou des images sur une histoire que rien ne peut expliquer. Les mêmes elipses qui nous diront que un, deux ou trois ans plus tard, le passé et les souvenirs peuvent encore vous empêcher de vivre tant ils restent présents.

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Si la Vie d’Adèle raconte une passion entre deux femmes, impossible d’y voir ici un hymne à l’homosexualité. Le film parlant avant tout d’amour (avec un grand A s’il vous plait) et des choses qui vous tombent dessus sans que vous puissiez rien n’y faire. La Vie d’Adèle parle d’un amour fou et sans retours possibles et montre comment une rencontre peut à tout jamais vous changer et  faire évoluer votre vision du monde (l’évolution du personnage d’Adèle dans ces 3 heures est absolument incroyable). Adèle c’est un peu chacune d’entre nous, une jeune fille candide qui ne demande qu’à être réveillée. Un réveil aussi brutal que fascinant, aussi merveilleux qu’angoissant qui ne peut mener qu’à l’inéluctable.

Oui car chez Kechiche la vie n’est pas toute rose et le plus beau des amours peut noircir ou ternir. Ici, ce n’est pas la relation homosexuelle qui posera problème mais bien la différence entre deux niveaux de vie, entre deux mondes, que ni l’amour ni le temps ne peut vaincre. Adèle est terre à terre, réaliste et se satisfait de son bonheur. Face à elle, Emma est une artiste issue d’un milieu favorisé franchement Bobo qui voit toujours plus loin. Comme dans tout autre couple, les différences d’éducation et de style de vie vont se heurter pour finalement être à l’origine de la rupture. La différence entre les deux femmes les conduisant à un sentiment de solitude extrême et irrémédiable. Une fin d’histoire montrée avec toujours autant de pudeur qui nous glacera un peu le sang quand au détour d’un “Embrasse-moi” la sensuelle Emma effleure sa partenaire du bout des lèvres …

Kechiche nous racontera beaucoup de choses sur le couple et nous perforera le coeur quand il nous montre comment la vie prend toujours le dessus. Comment malgré une rupture violente le monde continue de tourner et qu’il faut composer avec. Tout le courage d’Adèle est là quand on voit sa volonté de ne pas plier, de rester droite et de continuer à enseigner alors que son monde vient de s’écrouler. Kechiche cinéaste du réel vient de passer un nouveau cap et nous ramène à nos propres histoires, à nos propres démons et à ces êtres, désormais appartenant au passé, qui auront laissé en nous ce grand vide que les années parviennent difficilement à combler.

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Impossible de parler de la Vie d’Adèle sans parler de ses deux héroïnes. Adèle Exarchopoulos crève l’écran par sa simplicité et son naturel quand à ses côtés Léa Seydoux, méconnaissable derrière ses cheveux bleus, dynamite le film. Ensemble, les deux actrices font des étincelles et la fluidité du film vient uniquement de leur performance. Habitées par leur rôle,  Adèle et Léa sont les Adèle et Emma de Kechiche. Authentiques, vraies, simples et complètement abandonnées, elles brulent la pellicule. Tellement justes dans La Vie d’Adèle qu’on se demande parfois si on est encore au cinéma ou si la réalité vient de dépasser tout cela !

Tendre et cruel, bouleversant de simplicité et film définitivement à part il y a dans cette vie d’Adèle beaucoup à dire. Expérience de cinéma unique, fresque sur l’amour autant que sur l’apprentissage de la vie, La Vie d’Adèle mérite tous les “bravo” et risque fort de déclencher en vous une avalanche de sentiments. La grosse claque de ce festival de Cannes. A quand la suite Monsieur Kechiche ?

Author

Cinéphile aux lacunes exemplaires, mon coeur bat aussi pour la musique, les chaussures léopard et les romans de Bret Easton Ellis. Maman de 2muchponey.com, niçoise d'origine, parisienne de coeur, je nage en eaux troubles avec la rage de l’ère moderne et la poésie fragile d'un autre temps. Si tu me parles de Jacques Demy je pourrais bien t'épouser.

9 Comments

  1. On a aussi beaucoup parlé de la scène de sexe qui dure 7 minutes et ça me freine car je ne vais pas au cinéma pour voir du porno. Qu’en as-tu pensé? Est-ce si sulfureux que ça?

    • 2MuchPoney Reply

      Hello Cloephis, la scène ne m’a pas gênée de mon côté. Oui elle est longue et charnelle mais elle est pas du tout excitante. Kechiche s’en sert pour montrer leur alchimie pas pour montrer du sexe …

      • Thomas PERILLON Reply

        Ce n’est pas le sexe qui compte dans cette scène, c’est l’intensité d’un instant, la beauté des corps enchevêtrés dans la passion…

  2. On a aussi beaucoup parlé de la scène de sexe qui dure 7 minutes et ça me freine car je ne vais pas au cinéma pour voir du porno. Qu’en as-tu pensé? Est-ce si sulfureux que ça?

    • Hello Cloephis, la scène ne m’a pas gênée de mon côté. Oui elle est longue et charnelle mais elle est pas du tout excitante. Kechiche s’en sert pour montrer leur alchimie pas pour montrer du sexe …

      • Thomas PERILLON Reply

        Ce n’est pas le sexe qui compte dans cette scène, c’est l’intensité d’un instant, la beauté des corps enchevêtrés dans la passion…

  3. Thomas PERILLON Reply

    C’est en effet un très grand film, d’une justesse et d’une intensité incroyables sur le sentiment amoureux, la passion et son érosion. Et Adèle Exarchopoulos, aussi exaspérante qu’elle le fut à Cannes, est extraordinaire dans ce film. Pourtant, je suis d’ordinaire avare en compliments.

    http://www.lebleudumiroir.fr/?p=5089

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