Christopher McCandless est mort en avril 1992. Moi, je l’ai rencontré au détour d’un bus abandonné, dans une salle de cinéma, 15 ans plus tard, en septembre 2007.

Ce jour-là, j’ai rendez-vous avec une amie pour aller voir le dernier Sean Penn. Je me suis renseignée et pour l’instant, les critiques sont unanimes, et puis, après tout, c’est Sean Penn…les valeurs sûres…Au fait, il y a aussi Emile HirschLords of Dogtown, The Girl Next Door, Alpha Dog…bref, j’ai confiance.

Les lumières s’éteignent et comme à chaque fois qu’on va découvrir une nouvelle histoire, la tension monte un peu, les gens s’enfoncent un peu plus dans leur siège, les portables (certains, du moins) s’éteignent, le pop-corn commence à s’agiter. On est parti pour 148 minutes…

Emile est là, il est dans son bus 142, au milieu de l’Alaska…le Nord. Il chasse, il contemple, il respire, il écrit, il est Alexander Supertramp.

Deux ans plus tôt, un jeune homme à l’avenir prometteur monte sur l’estrade pour reçevoir son diplôme devant ses parents et leur visage empreint de fierté. Sa petite sœur est là, Carine, et c’est elle qui nous raconte cette histoire. Je ne connais pas Chris McCandless, je n’ai jamais entendu parler de lui, je ne sais pas qui il est.
Mais Sean m’a bien eu, il m’a eu dès que Chris est arrivé sur l’estrade, le sourire aux lèvres. Ce même sourire qu’il a au début du film, en Alaska, devant l’immensité du paysage. Comment est-il arrivé là et pourquoi ? Comment ces deux garçons peuvent-ils n’être qu’une seule personne ?

Chris détruit ses cartes de crédit et fait don des ses économies. Il part. Il part sans se retourner, sans dire au revoir, sans donner de nouvelles. Pas même à sa sœur. Il rompt les liens avec tout ce qu’il a connu et tout ceux qui l’ont connu, condition sine qua non à sa quête de liberté ultime. Son périple est ponctué de flashbacks, formidablement orchestrés par Sean. Les parents attendant le retour de leurs fils et désespérant de le revoir un jour. Le tableau n’est pas embelli : la famille laissée derrière souffre, au mépris d’un jeune rêveur, parti à l’aventure, sans se soucier de ce qu’il laisse derrière. Egoïsme ? Sûrement. Mais qui sommes-nous pour juger un jeune homme qui a eu le courage de faire ce que beaucoup ne font jamais ?

En 2007, j’ai 20 ans et tout ce que je veux c’est m’en aller. Comme la plupart des jeunes de mon âge et comme le dira si bien Emile Hirsch par la suite, nous voulons tous nous enfuir, à un moment ou un autre mais peu d’entre nous le font. Chris McCandless l’a fait et c’est en cela que son histoire nous touche. Il est loin d’être parfait et il est parfois même détestable. Emile Hirsch est stupéfiant. Il incarne si bien Alexander Supertramp, cet alter-ego de Chris, que rien n’arrête, ce jeune diplômé, qui laisse sa famille derrière lui et s’émeut des merveilles que lui offre la nature.

Les quelques personnes que croise Chris sont toutes marquées à jamais par sa présence et son magnétisme, il laisse une trace partout où il va mais reste toujours determiné à conquérir l’Alaska, plus rien ne le retient. Toutes ces personnes, sitôt rencontrées, appartiennent déjà à son passé. Rainey (Catherine Keener endeuillée par la disparition de son fils), Wayne (Vince Vaughn fidèle à lui-même), Tracy (formidable Kirsten Stewart, d’une beauté angélique) et Ron, le sage et émouvant Hal Holbrook, le dernier « obstacle » sentimental de notre héros.

Sean Penn et Emile Hirsch nous embarquent dans ce voyage où nous faisons escale à chaque étape, grâce à la voix rocailleuse et très reconnaissable de Eddie Vedder, qui signe une bande originale unique. Trop rare depuis la séparation de Pearl Jam, quel plaisir d’être bercée par «Guaranteed» (qui remporte un Golden Globe), «Long Nights» ou un «Hard Sun» bien placé. Ce qui nous rappelle bien qu’une bande originale efficace est toujours signe d’un très grand film…

Soyons chauvins pendant quelques instants et saluons le travail magistral du directeur français de la photographie, qui, sous le regard intransigeant de M. Penn, nous livre un aperçu de cette nature hostile, et de ces paysages grandioses qui jalonnent le parcours de Emile Hirsch, et qui nous donne bien envie à nous aussi d’un petit retour aux sources…

Mais revenons à notre «héros ordinaire». Alexander/Christopher/Emile passe d’un état à l’autre et nous fait traverser un autre pays, il suspend le temps et on oublierai presque qu’il a disparu depuis presque 4 mois, si sa sœur n’était pas là pour nous rappeler que l’histoire de son frère est aussi l’histoire de sa famille. On passe une grande partie du film en Alaska, à partager la solitude de Christopher, et même si l’on se doute de la conclusion de l’histoire, on ne veut pas y penser, on veut croire que Chris va réaliser son rêve et on tremble pour lui dès qu’il rencontre une difficulté. On l’accompagne lorsqu’il cherche à traverser la rivière, on compatit quand il ne parvient pas à conserver la viande de l’élan qu’il a chassé, on prie quand un ours pas très commode s’approche d’un peu trop près de son bus. Ce bus, perdu au milieu de l’Alaska, le parfait symbole du voyage, du périple et le dernier havre de paix de notre compagnon de route.

Mais Christopher prend conscience que le plaisir de l’évasion, de la liberté absolue, ne prend tout son sens que si ce bonheur ultime est partagé. Dès lors, il tentera de rentrer chez lui, retrouver les siens et sans doute aborder son ancienne vie d’un point de vue différent et enrichi par cette expérience. Mais comme Sean Penn nous le fait comprendre à travers tous les flashbacks du film, c’est peine perdue. C’est seul que Christopher mourra, dans ce bus au milieu de cette région hostile qu’il a tant convoité et aimé et qui ne le lui a pas rendu.

Je ne pleure jamais devant un film. Je ne suis pas de celles qui ont pleuré toutes les larmes de leurs corps quand Jack rejoint le fond de l’océan et laisse Rose toute seule sur sa planche de bois. Mais comme je l’ai dit, Sean m’a bien eu. Du début à la fin, il ne m’a pas lâchée, et cette boule que j’ai au fond de la gorge, c’est, en ce qui me concerne, le signe irréfutable que je viens de tomber sur une perle rare.

Je m’empresse d’acheter le livre de Jon Krakauer, à l’origine du film et je le dévore, redécouvrant ce personnage énigmatique que restera Christopher McCandless, le sociable et solitaire à la fois qui rêvait de liberté et ne voulait pas se laisser emprisonner par «la société».

Alors oui, le cinéma manque cruellement d’histoires originales et les réalisateurs ont parfois un peu trop recours à la littérature et/ou la vraie vie, mais lorsque l’on voit ce genre de chef d’oeuvre, on pardonne.

Le chef d’oeuvre dont je parle, c’est INTO THE WILD

Eva B. @Chalisbury

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4 Comments

  1. Très bien résumé, très belles photographies et une fin qui laisse en suspense. 

  2. Très bien résumé, très belles photographies et une fin qui laisse en suspense. 

  3. C’est une belle analyse du film.
    L’histoire de Chris McCandless nous touche particulièrement parce que , comme vous le dites, nous avons tous avec lui fait quelques kilomètres de son périple , tôt ou tard dans nos vies…
    J’ai regretté, après avoir lu le livre, que certains personnages aient disparu du scénario du film, notamment cet amérindien, qui avertit Chris qu’il court très certainement à sa perte, sans être initié à la vie ” Into the Wild” dont il rêvait.

  4. Frédéric Bolane Reply

    C’est une belle analyse du film.
    L’histoire de Chris McCandless nous touche particulièrement parce que , comme vous le dites, nous avons tous avec lui fait quelques kilomètres de son périple , tôt ou tard dans nos vies…
    J’ai regretté, après avoir lu le livre, que certains personnages aient disparu du scénario du film, notamment cet amérindien, qui avertit Chris qu’il court très certainement à sa perte, sans être initié à la vie ” Into the Wild” dont il rêvait.

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